Le "Rapport sur le vote électronique" du Conseil fédéral du 9 janvier 2002 définit le terme "vote électronique" comme la réunion de trois catégories de fonction assez différentes. La première, qui donne aux autorités la possibilité de "fournir des informations sur les votations populaires et sur les élections, et ce, par voie électronique" existe en principe aujourd'hui déjà, dans une mesure plus ou moins grande. La possibilité de "signer les demandes de référendum ou les initiatives populaires par voie électronique" par contre pose déjà des exigences plus élevées, étant donné qu'elle nécessite une vérification de l'authenticité des signatures électroniques et des autorisations de signer.
La troisième catégorie, la possibilité de "voter par voie électronique (lors de votations populaires ou d'élections)" est de loin la plus complexe et mérite d'être examinée de plus près. La raison principale de la complexité n'est pas l'exigence de continuer à proposer - en plus de la voie électronique - les voies traditionnelles de l'urne et du vote par correspondance. Le cœur de la complexité se situe au niveau du conflit d'intérêts entre l'exigence de l'anonymité lors de l'exercice du droit de vote (secret du vote) d'une part et la nécessité d'autre part de pouvoir retracer l'opération dans une certaine mesure. Les deux critères sont caractéristiques de votations et d'élections au sens traditionnel et donc certainement des attributs également requis dans le monde virtuel. Pour illustrer la traçabilité, nous citerons le cas fictif suivant qui s'est produit en l'an 2015: à la suite d'une votation, un groupement politique fait courir le bruit que la votation a été falsifiée ou, encore mieux, que c'est lui-même qui l'a falsifiée. Que faire dans un tel cas? Sans possibilité de retracer les faits, il n'est pas possible de prouver ou de réfuter quoi que ce soit. Quant à l'éventualité de répéter le vote, il s'agit d'une solution qui dans la majorité des cas est hors de question. On peut pourtant soutenir que le jour viendra ou la traçabilité ne sera plus nécessaire parce que la confiance en l'informatique sera si grande que plus personne n'envisagera sérieusement la possibilité d'une erreur ou d'une brèche de sécurité. On peut avoir des avis divergents sur la question, nous aimerions simplement rendre attentif au fait que des experts en informatique renommés considèrent aujourd'hui les projets de vote électronique comme trop dangereux pour la démocratie. Il existe bel et bien des méthodes basées sur des signatures numériques invisibles qui permettent de surmonter dans une certaine mesure le conflit existant entre l'anonymité et la traçabilité. Pourtant, même ces méthodes ne permettent pas d'éliminer la complexité, sans compter qu'elles sont d'autant plus difficiles à mettre en œuvre. C'est pourquoi nous regrettons que, bien que la question de la faisabilité soit mentionnée dans le titre du rapport sur le vote électronique, le projet en soi n'inclue aucun élément concernant cette question.
Ce qui importe en premier lieu du point de vue de la protection des données dans ce projet est de savoir ce qu'il est prévu de faire avec les registres des électeurs. Ne serait-ce que pour des questions de coût, nous proposons de ne pas entreprendre de démarches importantes avant qu'un modèle concret n'ait été présenté qui donne une réponse affirmative et pertinente à la question de la faisabilité d'exercer son droit de vote via un réseau. Une réponse positive limitée au cas de figure de la signature de référendums ou d'initiatives ne serait vraisemblablement pas une justification suffisante pour investir dans la transformation des registres des électeurs, étant donné que les signatures récoltées par voie électronique ne peuvent pas être comparées à celles qui ont été récoltées selon la méthode traditionnelle, tout simplement parce qu'elles sont "plus faciles à obtenir".
[juillet 2002]